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Dans l’histoire de l’humanité, l’information a toujours été rare et précieuse. On est passé (dans un temps record !) de cette rareté à un déluge d’informations, rendu notamment possible par les numériques. Sur internet, il circule à même temps des opinions, des connaissances, des bobards (…) ; créant une forte concaténation entre l’information et la désinformation. Cela n’est pas sans conséquences sur notre manière de penser, d’agir, de nous projeter dans l’avenir, et même de nous choisir nos dirigeants. Mais, y avons-nous été vraiment préparés ? J’y consacre ce billet, inspiré en grande partie par quelques lectures d’Etienne Klein.
La
révolution des médias a rendu possible un flux énorme d’informations que nul ne
pouvait imaginer il y a trois décennies. De tous les médias, Internet est sans
doute l’exemple le plus impressionnant sur ce chapitre. Il y foisonne en
permanence des connaissances, des opinions, des croyances, des pamphlets, des
commentaires, des bobards (…), de sorte qu’il devient difficile d’y distinguer l’information
de la désinformation, de la mésinformation, ou encore de
la malinformation.
En période électorale comme c’est le
cas actuellement en RD Congo, cet amalgame peut entrainer des ravages, aussi
bien du côté des candidats et de leurs sympathisants, que de futurs
électeurs.
Les bobards priment sur le débat
Dans un contexte électoral, l’internet
peut, s’il est bien saisi, être le lieu des échanges citoyens et des débats
féconds ; de nature à dévoiler les motivations profondes des candidats et
d’éclairer les choix de l’opinion. Je parle ici de débat, au sens étymologique
du mot. En effet, débattre est un vieil mot du 12e siècle, qui
désignait « ce qu’il faut faire pour ne pas se battre ». En d’autres
termes, « débattre » c’est « s’empêcher de se battre ».
Cela demande du temps. Du temps d’écoute, de patience, d’analyse et
d’argumentation. Ce que Bergson appelait « la politesse de
l’esprit ». Ceci n’a rien à voir
les likes ou les dislikes insouciants, les « répliques assassines », et
les opinions tranchées que nous lisons de gauche à droite sur internet. Cela
n’a rien à voir avec les crashs à sensations, les spectacles des
« débats expéditifs » et les bobards qui caractérisent actuellement nos médias.
Pour qu’un tel débat ait lieu, sur internet comme dans d’autres médias, il faut
que ses usagers soient, tant soi peu, éduqués sur aux enjeux actuels de la
manipulation de l’information.
Le revers de petites « communautés numériques »
Un exemple cher à Etienne Klein. Grâce au
numérique, chacun d’entre nous peut devenir une nouvelle sorte d’individu, en
ce sens qu’avec quelques clics sur internet, l’on peut se fabriquer son « chez
soi idéologique » ; c’est-à-dire bâtir une communauté numérique qui rassemble
des gens qui réfléchissent comme nous, croient aux mêmes choses que nous et ont
les mêmes centres d’intérêts que nous. Les algorithmes qui irriguent cette
communauté identifient très rapidement nos tendances, nos hobbies, notre
tropisme intellectuel, nos goûts et habitudes de consommateur, notre
sensibilité, … et ne nous proposent ainsi que le type des contenus (textes,
images, vidéos, …) qui vont dans le sens de nos pensées et de nos croyances.
Or, il se met ainsi en place des « communautés
numériques » qu’il convient d’appeler de « petites sociétés ». Dans
son livre De la démocratie en Amérique*,
Alexis de Tocqueville, au 19e siècle, nous mettait déjà en garde sur
ce type de sociétés. Il arguait que l’ennemie
de la démocratie n’est pas les salons mondains, où les gens discutent et argumentent,
mais les petites sociétés. Les petites sociétés sont ici entendues comme des
clans idéologiques qui, sans pouvoir discuter avec d’autres clans, défendent
chacun des valeurs qui parassent aux yeux des membres du clan comme supérieures
aux valeurs du contrat social.
Redéfinir nos rapports avec les numériques et éduquer les masses
Basés sur le génie des neuro sciences, les numériques savent
comment fonctionne le cerveau humain. Leurs algorithmes semblent même conçus de
sorte à se jouer aisément de nous.
Il n’en est pas moins que ce ne sont pas les
numériques qu’il nous faut mettre en cause, mais notre rapport aux numériques. Qu’est-ce
qui fait que les blagues, les fake-news et les bobards sont de loin plus
partagés et likés que les informations ou les connaissances scientifiques ?
Qu’est ce qui fait que les délures des influenceuses sont de loin plus suivis
que les chaines à caractère scientifiques, y compris par les étudiants en
sciences ?
En réalité, nous nous sommes, pour la plupart, engagés
dans une idylle précoce avec les numériques. Si nous ne nous donnons pas la
peine de prendre du recul pour redéfinir nos attentes vis-à-vis des NTIC, des
numériques en particulier, et recadrer notre rapport à elles, nous transformerons
l’une des inventions les plus géniales de notre temps en une peste
anthropologique. C’est surtout un travail d’éducation des masses qu’il nous
faut envisager. Il y a urgence. En RD Congo, des initiatives comme la
Blogosphère gomatracienne « Blogoma », et HakiConf de Rudi International éclairent
ce vaste sentier à leur manière, mais la route reste longe.